À partir de 1922, une fenêtre unique et privilégiée sur la foresterie québécoise s’est ouverte avec la parution de plusieurs revues spécialisées dans ce domaine. Deux personnages importants ont contribué au développement de ces revues au cours des 50 premières années, soit les ingénieurs forestiers Avila Bédard et Omer Lussier.

Avila Bédard fut d’abord un haut fonctionnaire loyal, mais surtout un homme de conviction. Jeune sous-ministre des Terres et Forêts sous le gouvernement Duplessis, il fut qualifié à la fois de poète, d’historien, d’économiste, mais avant tout, d’éducateur et d’environnementaliste. Bédard fut l’un des deux premiers ingénieurs forestiers de la province de Québec en compagnie de Gustave Clodomir Piché. Il fut envoyé en 1905, sous la demande expresse de Lomer Gouin (premier ministre du Québec à cette époque), à l’Université Yale aux États-Unis. Tous deux revinrent en 1907 avec une maîtrise en foresterie et des idées nouvelles en tête. Quinze ans plus tard, après avoir initié plusieurs transformations dans le milieu forestier et suite à l’expérience fructueuse de publication de chronique dans le journal L’Éclaireur (édité par la Société Générale de Publication Limitée de Beauceville) et le quotidien Le Soleil de Québec, Bédard, soutenu par son collègue G. C. Piché, entreprend la création d’une première revue de foresterie de langue française en Amérique : La Vie Forestière et Rurale

Le dessein initial de Bédard est de permettre d’établir dans sa langue maternelle un magazine d’information forestière et rurale s’adressant à la population et aux ingénieurs du Québec. Il faut souligner que depuis 1905 l’Association forestière du Canada publie en anglais une revue mensuelle dans le but de publiciser les idées du mouvement de conservation de la nature, mais dont une majeure partie de la population ciblée, les francophones, ne peut comprendre la langue.

Les premières lignes du premier numéro de La Vie forestière et rurale (1922) sont explicites quant aux objectifs premiers de la revue : 

«La rareté des publications forestières de langue française dans toute l’Amérique est un fait reconnu. Cette constatation est surtout pénible à faire dans la province de Québec, tant à cause de notre origine que par suite de l’importance de nos forêts et des industries qui s’y rattachent. Notre société a cru bon d’aider à combler cette lacune en publiant une revue qui s’occupera, d’une manière générale, des CHAMPS et des FERMES.»

Bédard souhaite enclencher un processus de communication dans la langue des gens concernés par les problèmes dont il désire débattre dans sa nouvelle revue. Les incendies forestiers occupent une place prépondérante au sein de ses préoccupations.

Les années 1921 et 1922 sont le théâtre de terribles conflagrations. Les désastres amènent la rédaction à faire une priorité de la question forestière: «Si nous cherchons à encourager le reboisement, nous ne manquerons pas d’autre part, de préconiser tout d’abord et surtout l’emploi des moyens les plus efficaces de protection des forêts contre l’incendie. À quoi servirait le reboisement, la mise en pratique des méthodes sylvicoles, si l’incendie vient ensuite tout détruire?» Cette question fera l’objet d’analyses et de critiques par les principaux auteurs de la revue.

L’une des difficultés de taille, mis à part les revenus, est de trouver des rédacteurs qualifiés et prêts à soumettre des articles pour alimenter une discussion sérieuse autour de la question des forêts. On fait donc appel aux anciens élèves de MM. Bédard et Piché à l’École forestière de l’Université Laval afin qu’ils soumettent leurs analyses à cette tribune publique. Cette initiative permet à la revue de survivre pendant plus d’un an et demi, mais le discours, souvent technique, ne réussit pas à gagner la faveur des marchés plus modestes et moins éduqués. Les grands espoirs qu’avait suscités la revue se sont éteints en décembre 1923 avec la sortie du dernier numéro.

Deux ans et demi après la disparition de La Vie forestière et Rurale une nouvelle publication paraît, La Forêt et la Ferme. Avila Bédard est à la direction, l’impression se fait toujours à Beauceville dans les mêmes ateliers de la Société Générale de Publication Limitée. La Forêt et la Ferme sera cette fois, l’organe officiel de l’Association Forestière du Canada (AFC). De 1926 à 1931, Bédard réussit à convaincre l’Association de financer une revue en français. Bédard et Piché, grâce à leurs relations professionnelles, ont pu convaincre l’Association du bien-fondé d’une version francophone de la revue anglaise Forest & Outdoors (ex Canadian Forestry Journal). Une courte expérience avait été tentée, dix ans auparavant, au cours de laquelle l’Association avait publié, pendant quelques numéros, quatre pages d’articles en français. Cette fois-ci, elle assure, grâce à son marché publicitaire, de solides assises à une revue entièrement francophone.

La revue devient beaucoup plus vulgarisatrice et centrée sur l’éducation. Malgré le fait que des professionnels y écrivent leurs analyses et leurs réflexions, la tendance générale est de fournir un discours cohérent et mobilisateur à propos des directives de l’A.F.C. et de ses membres. Il faut faire comprendre aux colons, aux sportsmen et à tous les utilisateurs de la forêt « le bon sens et la raison ». Henri Kieffer, chef du Service de la protection de la province de Québec, signalait la mission de cette revue dans laquelle il publia de nombreux articles :

«Si l’on s’occupe d’intéresser à la forêt le colon, l’employé de chemin de fer, le chasseur, le pêcheur, le touriste, le villageois et le citadin, si l’on réussit à les persuader de l’importance que joue la forêt, au point de vue du bien-être public, et de la nécessité d’adopter les méthodes les plus pratiques pour assurer son exploitation judicieuse et sa protection efficace, on aura contribué à augmenter le nombre de ceux qui s’intitulent les amis de la forêt, rendant ainsi plus facile aux gouvernements la tâche qu’ils ont de maintenir pour les générations futures aussi bien que pour la présente, les ressources naturelles essentielles du pays. »

Plusieurs articles sont des traductions de textes, écrits par des spécialistes anglophones, qui ont un intérêt autant pour la province que pour le pays. Dans l’ensemble, la revue fournit des informations pertinentes et adaptées à la situation qui prévalait à cette époque.

En 1930, la revue est rebaptisée et devient La Vie Forestière. L’Association en est toujours l’éditeur officiel, le directeur demeure Avila Bédard et la Société Générale conserve son contrat de publication. Le mandat, lui, est quelque peu modifié. Pour la première fois, les questions forestières supplantent les questions reliées à la ferme. La crise économique aura raison des revues francophones publiées par l’Association. Ainsi, la publication de La Vie Forestière paraît pour la dernière fois au mois d’octobre, novembre et décembre 1931. Il faudra attendre huit ans avant que voit le jour une première revue forestière québécoise viable et autonome.

Le premier numéro de La Forêt Québécoise paraît en janvier 1939. Elle est présentée comme étant au service des mesureurs de bois de la province. Des informations techniques sur le métier y sont publiées, la revue devient leur outil de propagande. Dès le mois suivant, l’Association des ingénieurs forestiers de la province s’associe aux mesureurs de bois pour alimenter la revue de textes pertinents à la question forestière.  Un mois plus tard, la revue change son mandat et devient la publication officielle de la nouvelle Association forestière québécoise. Les premiers mois de l’hiver 1939 sont mouvementés. Il s’y créa une synergie qui, pendant des années, sera le phare de tous les forestiers québécois.

Cette énergie est le fruit des efforts du second grand pionnier de l’éducation forestière francophone, Omer Lussier. Pour comprendre l’ensemble des transformations qui se produisent au début de l’année 1939, il faut tenir compte du personnage et de la position qu’il occupe dans l’establishment forestier. D’abord, en janvier 1939, Lussier est président de la Corporation des mesureurs de bois et directeur de l’Association des ingénieurs forestiers du Québec. En février, il met sur pied l’Association forestière québécoise qui réunit les milieux dans lesquels il est impliqué. Afin de sensibiliser la population et de favoriser la communication entre les différents groupes d’intérêt, il finance personnellement la fondation de sa revue. Au mois de septembre 1940, il vend la revue à l’Association forestière québécoise, pour la somme symbolique d’un dollar et ce, malgré un surplus accumulé de 1 500 dollars.

La revue se consacre uniquement aux intérêts de la province de Québec. Maurice Duplessis met en place une conscience nationale que semblent privilégier les membres de l’Association. Sans être réfractaire à ce qui se fait à l’extérieur de la province, la rédaction ne considère que ce qui est propice à l’essor économique et la protection de l’environnement forestier québécois. Plusieurs articles sont traduits ou publiés intégralement en anglais. Des textes proviennent d’Europe, des États-Unis et du Canada anglais, mais tous ont pour objectif commun de permettre l’amélioration de la condition de la forêt québécoise. La revue revêt un caractère scientifique et est présentée comme telle. La vulgarisation est laissée à la revue Conservation des Clubs 4-H. La fusion des deux publications donnera, en 1950, la revue Forêt Conservation qui aura pour mandat, sous la direction de Jules A. Breton, de faire la juste part entre l’ouvrage de vulgarisation et la revue scientifique.

Bibliographie

  • LUSSIER, Omer. « Considérations sur La Forêt Québécoise ». Rétrospective sur l’œuvre de l’Association forestière depuis 10 ans. Québec, L’Association Forestière Québécoise, 1949, pp. 20 à 22.
  • BRETON, J. A.. « Historique de La Forêt Québécoise ». Rétrospective sur l’œuvre de l’Association forestière depuis 10 ans. Québec, L’Association Forestière Québécoise, 1949, pp. 23 et 24.
  • La Direction. « Notre revue ». La Vie Forestière et Rurale. Vol. 1, no. 1 (mai 1922), pp. 1 à 5.
  • PICHÉ, G. C.. « À propos de la nouvelle revue ». La Forêt et la Ferme. Vol. 1, no. 1 (juillet 1926), p. 23.
  • KIEFFER, Henri.  « La revue se fera sûrement de nombreux amis ». La Forêt et la Ferme. Vol. 1, no. 3 (septembre 1926), p. 102.